
Que dire d'autres ?
* [Si ce n'est que le CESE, par son représentant de la confédération paysanne a déjà dénoncé ce projet pharaonique]
"Dans le même genre d’absurdité la mairie de Romainville investit 5 millions d’euros pour construire 2 tours maraîchères de plusieurs étages, qui produiront 12 tonnes de légumes par an ; ils sont fous ces Romainvillois, 5 millions pour seulement 12 tonnes de légumes par an, quelle gabegie !" https://www.lecese.fr/…/2019/2019_15_agriculture_urbaine.pdf
(NB et le coût de fonctionnement est estimé à 500 000€ / an)
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CHARLIE HEBDO - 24 juillet 2019 / N° 1409
DES LÉGUMES DANS LE BEAU CIEL DE L’INDUSTRIE
FABRICE NICOLINO
Lectrice et lecteur mes amis, bienvenue à Romainville (Seine-Saint-Denis), où l'on pourra bientôt voir pousser des tomates de manière enfin verticale. L'inénarrable mairesse, Corine Valls, naguère communiste orthodoxe, puis soutenue par les Verts, puis de gauche, veut ouvrir dans les prochains mois une Cité maraîchère. Soit un bubon, ou plutôt deux bubons plantés en centre-ville, dont l'un fera 24 m de hauteur et l'autre 14. Ces deux tours splendides devraient à terme produire 12 tonnes de fruits et légumes hors-sol – l'hydroponie – et satisfaire l'équivalent de 200 familles chaque année.
Ce ne sera pas du bio pour la raison élémentaire que le logo AB est réservé aux productions en pleine terre, mais le tout est enrobée par une armée de communicants sous le terme attrayant d' « agriculture urbaine ». Cette énième tarte à la crème de l'industrie va faire parler d'elle, soyez-en sûrs. Mais d'abord, deux mots de Romainville et de Valls.
Cette ville de quelque 26 000 habitants est à 3 km à l'est de Paris et, comme l'essentiel de la Seine-Saint-Denis, elle a été massacrée sur l'autel de l'industrie et du béton. Il y a une singularité, qui s'appelle Valls. Elle a, pour des raisons qu'on connaîtra peut-être, dévolu sa commune à l'intérêt privé des promoteurs et « densifié », c'est-à-dire bétonné et élevé des tours partout où c'était possible.
En 2012, je suis allé la voir, car je rêvais de transformer la forêt de la Corniche des forts, avec mes amis Hélène Zanier et Pierre Mathon, en un « observatoire populaire de la biodiversité »(1). D'une ancienne carrière de gypse abandonnée après la guerre était né un formidable lieu « naturel » d'une quarantaine d'hectares. Valls m'a laissé croire qu'elle m'écoutait, et a soutenu en fait, aussi vite qu'elle pouvait, un désastreux projet de base de loisirs qui sacrifiait comme de juste les arbres, les oiseaux, la nature.
La cité maraîchère ? Une farce. Un truc. Un accroche-bobo qui servira à dissimuler les véritables enjeux urbains des années qui viennent. Bien sûr, on ne se bat pas pour des espaces agricoles en ville, mais pour une superproduction technologique qui permette de beaux reportages (2). Une mention à un garçon que j'ai vaguement croisé dans une vie lointaine, Yann Fradin. Vert à l'époque – vers 1992 – où le zigoto Henri Afonso régnait sur son département des Hauts-de-Seine, Fradin a fait son chemin, mais sur une étrange rocade. Il est appelé à gérer la Cité maraîchère de Valls, avec d'aimables arguments sur la « ville-jardin » - au milieu des autoroutes et des cités sans soute, précisant que le temps est venu d'une « reconquête des espaces publics ». Tu l'as dit.
Ce que ne diront pas Fradin et Valls, c'est que cette foutaise s'inscrit dans un mouvement mondial qui consiste à s'emparer, puis à phagocyter et à détruire un élan réel en faveur d'une agriculture périurbaine pérenne, créatrice d'emplois, biologique évidemment. Certaines gazettes sont désormais pleines d'un hymne couillon aux « fermes verticales », s'empressant d'écrire comme il se doit que la France serait « en retard » sur les États-Unis (3), où, en effet, cela flambe.
Le fantasme est limpide : il s'agit de créer une agriculture « augmentée », comme les tranhumanistes parlent d'une humanité idem. On se passe de sol, mais on consomme massivement des lampes à diodes électromuminescentes (LED), désastreuses pour la rétine et les rythmes biologiques. Retenez bien que pour commencer les tristes blagounettes servies par les bluffeurs de service. Selon l'excellentissime Christophe Lachambre, président de Ferme urbaine lyonnaise (voir encadré ci-dessous), la culture dans les nuages obtiendrait des rendements surnaturels : 54 fois plus au mètre carré pour le basilic, 137 fois pour la coriandre, 217 fois pour le persil. Et même 478 fois pour la ciboulette. On dira ce qu'on voudra, mais les alchimistes de jadis – à moi Synésius, Zozime, Abu Bark Mohammad Ibn Zakariy al-Razi, Flamel, Paracelse ! - avaient belle allure.
(1) fabrice-nicolino.com/?p=1671
(2) ville-romainville.fr/1076-tour-maraichere.htm
(3)m.lesechos.fr/week-end/fermes-verticales-quand-l-agriculture-prend-de-la-hauteur-0302427330102.php